M. Roland Mazurié des Garennes nous raconte comment, au siècle dernier, un notable malouin inventa et popularisa l’expression « Côte d’Emeraude » qui allait entrer dans le langage courant et contribuer au rayonnement de toute une région.
Le nom d’Eugène Herpin est presque tombé dans l’oubli. C’est pourtant à lui que nous devons l’expression « Côte d’Emeraude »… A la fin du XIXe siècle, Eugène Herpin était une figure éminente de la bonne société malouine. Avocat, historien, peintre à ses heures perdues, il jouissait d’une grande notoriété. Il était notamment connu pour ses ouvrages consacrés à l’histoire de la Cité corsaire. En 1894, Eugène Herpin venait de terminer l’écriture d’un guide dans lequel il décrivait les bords de la baie de Saint-Malo, de Saint-Cast à Cancale, en passant par le Cap Fréhel. Le magistrat était satisfait du contenu de son livre, mais il ne pouvait pas le publier, car il ne trouvait pas de titre à lui donner. Les différentes idées qui lui venaient à l’esprit pêchaient par leur manque d’originalité. Un jour, alors qu’il n’avait toujours pas trouvé de titre accrocheur, il partit en promenade sur les remparts de Saint-Malo, accompagné de ses deux sœurs. Tandis que le petit groupe passait devant la Tour Bidouane, l’une des deux sœurs s’exclama : « Avez-vous remarqué comme la mer est encore plus verte que d’habitude ? » Ces quelques mots provoquèrent un déclic dans le cerveau de l’historien qui aussitôt s’écria : « Ça y est, j’ai trouvé le titre de mon livre ! La mer est de la couleur de l’émeraude. Je vais donc appeler mon guide : Le Guide de la Côte d’Emeraude. » L’expression « Côte d’Emeraude » était née. Le guide connut un grand succès.
Pour populariser cette belle trouvaille, il fallait une légende. Eugène Herpin se chargea lui-même de l’écrire en s’inspirant d’autres mythes célèbres, tels que Nibelungen ou Charybde et Scylla. Voici le conte, tel qu’il est sorti de l’imagination de ce fabuleux inventeur :
La légende de la Côte d’Emeraude
Dans des temps lointains, il y avait à Dinard une jeune femme qui se rendait régulièrement sur la pointe du Moulinet pour se livrer à un jeu diabolique aux dépens des marins étrangers de passage dans la baie… L’élégante, qui était d’une grande beauté, portait au doigt une magnifique pierre émeraude. Du haut de son promontoire rocheux, elle dominait la passe entre Dinard et Saint-Malo. A cette époque, cette passe n’était pas matérialisée comme aujourd’hui : très étroite, bordée de récifs, elle suscitait les craintes de tous les pêcheurs de la région. Lorsqu’un navire battant pavillon étranger apparaissait à l’horizon, la demoiselle faisait de grands signes aux marins. Ceux-ci, attirés par sa beauté ou par l’éclat de sa bague, se dirigeaient vers elle, sans se méfier du danger qui les menaçait. Inévitablement, le navire venait talonner les récifs et finissait par s’échouer. A la vue de ce terrible spectacle, la jeune fille était ravie ! Cet odieux manège se poursuivit pendant des semaines. Mais, un jour, un moine du couvent des Récollets qui déambulait sur le chemin côtier fut témoin des agissements de la jolie jeune femme. L’ecclésiastique s’approcha de la pécheresse et l’interpella : « Ma fille, que faites-vous ? » La belle, sermonnée par le moine, prit conscience de la gravité de ses actes. Frappée par le remords, elle retira sa bague et la jeta à la mer. L’eau qui était bleue comme partout ailleurs dans le monde prit la couleur de la bague. Elle devient émeraude. Depuis ce jour, la mer qui baigne nos côtes a gardé cette étonnante couleur verte qui apparaît dans toute sa splendeur lorsque le soleil y projette ses rayons…
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