Regard sur la nouvelle « Sang négrier » de Laurent Gaudé

Regard sur la nouvelle de Laurent Gaudé, Sang négrier, extraite du recueil Dans la nuit Mozambique paru en 2006 aux éditions Actes Sud.

Au détour de la lecture de Sang négrier, première nouvelle du recueil Dans la nuit Mozambique de Laurent Gaudé, le nom de Saint-Malo apparaît, tristement associé à l’esclavage et à la traite des noirs. Passé le premier moment de surprise à découvrir un récit ancré dans la cité malouine, ce sombre épisode de notre histoire nous revient en mémoire. Qui parmi les nombreux visiteurs et les habitants de la ville contemple les imposants immeubles des armateurs et repense à ces fortunes amassées lors de la traite négrière et à cette dette à l’égard de l’Afrique ?

L’histoire se déroule en effet à Saint-Malo. Le capitaine d’un navire négrier, Bressac, meurt au large de Gorée, au Sénégal, et c’est le commandant du navire, le narrateur de la nouvelle, qui lui succède. Il décide de rapatrier la dépouille du commandant à Saint-Malo à l’encontre de la tradition maritime de jeter le corps à la mer. « Après des semaines de navigation, un jour, en fin d’après-midi, nous arrivâmes à destination. Le ciel était bas. Les remparts de la cité nous toisaient avec morgue. » Lorsque le navire arrive à Saint-Malo, cinq esclaves s’enfuient. Commence alors une chasse à l’homme dans les rues, à laquelle tout l’équipage et toute la population participent.

Si, comme l’explique Laurent Gaudé dans un entretien, le déclencheur a été le thème, pas les lieux (« J’avais envie de parler de l’esclavage, des négriers, de cette dette qu’on a vis-à-vis de l’Afrique. »), la description de Saint-Malo n’en est pour le moins précise. La chasse à l’homme entraîne le lecteur dans les ruelles de la cité malouine. Des lieux familiers apparaissent alors au fil des pages : « Nous montâmes les marches de l’escalier quatre à quatre. Le nègre était tapi dans le renfoncement d’une tourelle. » ou encore « Le troisième, je le ramenai vivant moi-même. Je le trouvai dans la cave d’un tonnelier, terrorisé et tremblant de faim, je le traînai par les cheveux jusqu’à la place de la cathédrale, je le montrai à la foule, je le forçai à s’agenouiller et je lui tranchai la gorge. »

Mais de simple cadre de l’histoire, la ville devient par la suite un personnage à part entière à la fin de la nouvelle : « Il me semblait, moi, que la ville s’était mise à vivre, et qu’elle avait entrepris de nous perdre. Elle était l’alliée du fugitif et lui offrait son ombre pour qu’il continue à s’y dissimuler. » Personnifiée, la ville aide l’esclave à fuir et portera à jamais la marque de la traite négrière : « Cette ville me fait horreur. Je sais qu’elle lui appartient désormais, qu’il y règne. Je sais que lorsque le vent dans les persiennes m’insulte, c’est parce qu’il lui a demandé de le faire. Je sais que lorsque les pavés me font trébucher, c’est parce qu’il les a déplacés. »

Voilà une nouvelle qui fait inévitablement porter un autre regard sur les fiers immeubles des armateurs. Laurent Gaudé a certainement atteint son objectif si le passant se remémore ce sombre épisode du passé malouin, qui n’est que trop peu souvent évoqué.

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