A l’occasion de la 10e édition de la Route du Rhum, Saint-Malo-Rama revient sur les origines de la célèbre course transatlantique.
Au fil des différentes éditions qui se sont succédé de 1978 à aujourd’hui, nous avons fini par oublier les circonstances dans lesquelles la Route du Rhum a été créée. Qui se souvient en effet que la célèbre course transatlantique à la voile est née dans un contexte de rivalité politico-sportive entre la France et l’Angleterre ? Un petit retour dans les années 70 s’impose.
Dans ces années-là, la course à la voile qui tient le haut du pavé, celle que tous les navigateurs rêvent de remporter, est organisée par nos voisins anglais. Dénommée STAR (Single-handed Trans-Atlantic Race), ou « Transat anglaise » de ce côté-ci de la Manche, cette régate en solitaire, sans escales et sans assistance, se court d’Est en Ouest entre l’Europe et l’Amérique à raison d’une édition tous les quatre ans. En 1976, c’est Eric Tabarly qui la remporte sur Pen Duick VI. Alain Colas, qui y a pris part sur son gigantesque quatre-mâts Club Méditerranée, s’est emparé de la cinquième place, bien qu’il se soit blessé et qu’il ait subi de nombreuses avaries lors de l’épreuve. A l’issue de cette édition au cours de laquelle les Anglais ont fait pâle figure, l’organisateur, le Royal Western Yacht Club, décide contre toute attente de limiter la taille des bateaux à 56 pieds, soit 17 m. Cette nouvelle réglementation laisse sur le carreau tous les géants des mers, pour la plupart français, qui ont fait leur apparition dans les années précédentes. Eric Tabarly, Yvon Fauconnier et Alain Colas doivent d’emblée renoncer à s’inscrire à la transat la plus prestigieuse de l’époque.
Dans le camp français, des voix s’élèvent pour dénoncer de telles restrictions. Alain Colas déclare sur une chaîne de télévision : « Moi ce qui me passionne, ce sont les grands bateaux… Cette épreuve-là était l’unique occasion de développer des prototypes. Si on la supprime, c’est un peu comme si on supprimait la Formule 1 aux 24 heures du Mans. » Bien vite, la riposte s’organise. L’ancien publicitaire Michel Etevenon, qui a déjà financé de nombreux voiliers de compétition, décide de créer une course parallèle. Soutenu dans son projet par les skippers français les plus en vue de l’époque, ceux-là mêmes qui n’ont plus droit de cité sur la Transat anglaise, il annonce la naissance de la « Route du Rhum », une régate transatlantique où seuls les moteurs ne seront pas autorisés. Petit à petit, l’homme d’affaires esquisse les contours de l’épreuve : celle-ci ne fera l’objet d’aucune limitation de taille, elle sera ouverte aux monocoques, comme aux multicoques, aux professionnels comme aux amateurs. Bien sûr, elle reliera deux ports français, Saint-Malo en Bretagne et Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Sur le ton de la légèreté, Michel Etevenon précise : « Elle partira de France, mais nos amis britanniques seront bien entendu les bienvenus ! » Des propos bon enfant derrière lesquels se cache une ambition bien réelle : éclipser la Transat anglaise et faire de la Route du Rhum la nouvelle transat de référence…
Dès sa création, les médias et le public s’enthousiasment pour cette course innovante qui se voit rapidement surnommée « Transat de la Liberté ». Fin octobre 1978, les organisateurs enregistrent 36 inscriptions. Tous les grands noms de la voile ont répondu à l’appel : Alain Colas, Bruno Peyron, Marc Pajot, Florence Arthaud, Olivier de Kersauson, Philippe Poupon… Une absence est toutefois remarquée, celle d’Eric Tabarly, l’un des initiateurs de la course. Le marin nantais n’a pas eu le temps de trouver les financements nécessaires pour mettre au point un bateau à la mesure de la compétition.
Le 5 novembre 1978, le départ est donné devant plus de 100 000 personnes. L’arrivée au coude à coude des trimarans Olympus, piloté par Mike Birch, et Kriter V, piloté par Michel Malinovsky, la victoire à seulement 98 secondes de Mike Birch sur son concurrent, et plus tragiquement la disparition d’Alain Colas sur Manureva au large des Açores vont marquer les esprits et contribuer à faire entrer la Route du Rhum dans la légende, dès sa première édition.