Les mésaventures du pilote Edward B. Parsons dans le ciel de Saint-Malo

L'avion du Lieutenant Parsons, abandonné sur la plage du Sillon, est livré à la curiosité des passants - Illustration inspirée d'une photo prise par un témoin de l'événement.

Le 25 juillet 1944, trois pilotes américains aux commandes de chasseurs Lightning P-38 partent d’Angleterre pour une mission de reconnaissance photographique au-dessus de la Bretagne. L’un d’entre eux, Le Lieutenant Edward B. Parsons, ne rentrera pas à la base…

En cet été 44, une activité intense règne à l’aérodrome anglais de Mount Farm, Oxfordshire, base principale du 7e groupe de reconnaissance photographique de l’US Air Force. Ce groupe créé à Peterson Field au Colorado a pour mission de photographier la France occupée, depuis les airs. Identifier les cibles des futurs bombardements de la 8e Air Force, cartographier le plus précisément possible l’Hexagone en prévision du débarquement, vérifier les résultats des opérations aériennes, telles sont les fonctions que les pilotes de l’unité remplissent depuis déjà plus d’un an. Les photos prises du ciel sont transmises au centre d’analyse de Medemenhan, où le puzzle est réassemblé et décrypté.

Les escadrons du groupe sont dotés du célèbre chasseur à 2 poutres « Lightning » de Lockheed. Rapide, élégant, offrant plusieurs focales pour pouvoir photographier le plus large champ possible, selon le plus d’angles possible, ce « diable à deux queues » n’est pas armé.

Reconstitution en images de synthèse du célèbre avion de chasse Lightning P-38 de Lockheed

Traverser seul le ciel d’Europe en plein jour, affronter une météo capricieuse, gérer la navigation sur des vols de plusieurs heures en territoire hostile, affronter les chasseurs de la Luftwaffe et les canons antiaériens sans aucun moyen défensif est un travail technique, solitaire et dangereux. Bon nombre de pilotes partent pour ne pas revenir. Le Lieutenant Colonel Warburton, l’officier de liaison entre l’US Air Force et la Royal Air Force pour le 7e Groupe, plusieurs fois décoré pour ses exploits lors de la bataille de Malte et de l’invasion de la Sicile n’est pas rentré de sa mission du 12 avril 1944. Après plusieurs décennies de recherches, sa tombe ne sera identifiée qu’en 2002.

Ce 25 juillet 1944, l’objectif est la région Rennes-Combourg. Il s’agit de cartographier la zone dans le cadre de l’opération Cobra pour préparer la libération de la Bretagne par le VIIIe corps d’armée US et la IIIe armée américaine du Général George Patton, enlisés dans la bataille de Falaise. Trois hommes sont chargés d’accomplir cette mission : le Major Walter Weitner, le Lieutenant Robert Carlgren et le Lieutenant Edward B. Parsons.

Contraint de s’approcher de Saint-Malo et de son formidable système de défense, Edward Parsons tente d’effectuer quelques détours pour leurrer les Allemands. Mais cette tactique est sans effet : la « Flak » le repère en train de longer la côte. Immédiatement, l’enfer se déchaîne autour de lui. Un tir de batterie antiaérienne touche son P-38, stoppant net l’un des moteurs. A basse altitude, en perte de puissance, le Lieutenant Parsons sait qu’il ne pourra pas rentrer en Angleterre, ni même atteindre les lignes amies. Son seul choix est d’amerrir le long de la plage du Sillon, avec tous les risques qu’un crash suppose. Posé malgré tout en douceur, le Lightning coule rapidement et Parsons, entravé par les nombreux câbles et les éléments du cockpit déplacé par la violence du crash évacue l’avion en manquant de se noyer. Il a à peine le temps de se remettre de ses émotions qu’un canot arrive près de lui et qu’un soldat allemand lui intime l’ordre de nager vers la plage. Sous la menace d’une arme, le pilote ne peut qu’obéir de mauvaise grâce. Il est officiellement fait prisonnier par les autorités allemandes au milieu d’une foule de Malouins attirés par les événements de ce mardi.

Après une première nuit passée en captivité à Saint-Malo, le Lieutenant Parsons est transféré vers le camp de prisonniers de Chartres. De là, il est envoyé vers le camp allemand réservé aux pilotes, le Stalag Luft III, rendu célèbre par le film La Grande évasion. Il sort vivant de cette expérience carcérale. Après la guerre, il retourne aux Etats-Unis où il reprend une existence normale. Plus tard, il devient professeur d’Histoire à la Miamy University (Ohio). Ses mésaventures dans le ciel de Saint-Malo seront bien sûr relatées à plusieurs reprises dans le journal de l’Université.

 

L’Affaire du Lightning P-38 d’Eward B. Parsons

Pour compléter ce récit, il nous faut dire un mot du sort que l’Histoire réserva à l’avion du Lieutenant Parsons. Laissé à l’abandon, l’appareil fut ballotté au gré des marées, le temps que les Allemands mettent au point une stratégie pour le récupérer. Deux navires furent réquisitionnés pour mener à bien l’opération : un bateau sablier, le Quentovic, auquel on relia l’avion par des câbles métalliques, et un remorqueur, qu’on employa pour tirer le Quentovic et sa capture jusqu’au port. Le Lightning P-38 de l’US Air Force serait ainsi tombé dans l’escarcelle des Allemands si l’officier de marine aux commandes du remorqueur n’était pas intervenu pour changer le cours des événements. Cet homme, le capitaine Hippolyte Puisné, en service dans le port de Saint-Malo, était connu pour avoir refusé plusieurs fois d’obéir aux ordres de l’Occupant. Ce jour-là, il mit une nouvelle fois son grain de sable dans la mécanique allemande. Augmentant la vitesse de son remorqueur de façon excessive, il provoqua la rupture des câbles et la dislocation de l’avion. Les morceaux de ce dernier s’éparpillèrent dans l’eau. Anticipant le châtiment qui l’attendait, Hippolyte Puisné s’éloigna du secteur de Saint-Malo : il resta dans l’ombre, de l’autre côté de la Rance, jusqu’à l’arrivée des Américains.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En 2012, un pêcheur récupéra un moteur d’avion dans ses filets et l’abandonna cale de Dinan. Alerté à temps, Eric Peyle, directeur du Mémorial 39-45 de Saint-Malo, parvint à sauver l’épave avant qu’on ne l’envoie à la casse. Quelques semaines plus tard, le moteur retrouvé fut formellement identifié comme étant celui du Lightning P-38 immergé au large du Sillon. Une partie de l’avion d’Edward B. Parsons repose désormais dans les sous-sols du Mémorial de Saint-Malo, à la Cité d’Alet.

Hippolyte Puisné

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