Un conte de Noël : Alexandre Collyer et les enfants d’Antrain

De nombreux Malouins se souviennent d’Alexandre Collyer comme le fondateur et gérant de la compagnie de cars du même nom, qui a perduré jusqu’au milieu des années 50 (voir notre article sur l’histoire des autocars Collyer), mais peu de personnes connaissent l’action qu’a mené cet entrepreneur en faveur d’enfants défavorisés de la Région parisienne pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est cet épisode oublié de la période de l’Occupation que Saint-Malo-Rama vous propose de découvrir dans ce récit.

Notre histoire débute à Saint-Malo, en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale. L’homme d’affaires Alexandre Collyer est à la tête d’une famille de 5 enfants. Il est également patron d’une compagnie de transport de voyageurs qui a pris son essor dans les années 30. Comme tous les Malouins, l’entrepreneur est frappé de plein fouet par les restrictions imposées par l’occupant allemand. Il s’évertue comme il le peut à faire vivre sa femme et ses enfants, et à garder son entreprise en état de marche. En 1943, Jeanne, sa fille aînée, apprend qu’elle attend un bébé. Les autorités municipales ayant fait voter une loi obligeant toutes les femmes enceintes de plus de 5 mois à quitter l’agglomération de Saint-Malo, Alexandre Collyer décide de louer une grande maison à Antrain, petite commune située à une cinquantaine de kilomètres. Il y installe sa fille Jeanne et tous les autres membres de la famille.

Dans le même temps, l’homme d’affaires entretient une correspondance avec des cousins, les Hamon, qui résident au Kremlin-Bicêtre, ville située en bordure de Paris. Dans leurs lettres, les Hamon l’informent de la détresse de certains enfants qu’ils côtoient au quotidien. A cette époque, les populations de la Région parisienne sont en effet très durement touchées par les privations liées au conflit, plus encore que celles de Province. Madame Hamon note dans son courrier que certains enfants de son quartier sont sous-alimentés et vivent dans des conditions déplorables. Alexandre Collyer, ému par le sort de ces « gosses », comme il les appelle dans ses notes, décide d’agir en leur faveur. Il prend l’initiative de faire venir plusieurs garçons et filles du Kremlin-Bicêtre pour les placer dans des familles d’Antrain.

Dans le journal qu’il tiendra tout au long de cette période, Alexandre Collyer explique les raisons de sa démarche : « Dans les villes, les enfants ont faim, surtout quand la mère, obligée d’aller à un travail quelconque, ne dispose que de peu de temps pour aller aux provisions. A Antrain […] chaque famille peut réussir à obtenir un ravitaillement familial bien meilleur que celui obtenu dans les villes. Dans chaque famille, ici, les enfants ne manquent donc de rien. De nombreuses familles pouvant se charger de l’entretien d’un enfant, je demande à Mme Hamon de m’envoyer douze petits Parisiens que je placerai dans les familles ».

Antrain, rue de l’Eglise

Les premiers mois de cette aventure collective sont chaotiques. Dès l’arrivée des pensionnaires, Alexandre Collyer est en butte à l’hostilité de quelques villageoises bien-pensantes qui mettent en doute « l’honorabilité » de certaines familles d’accueil. L’homme d’affaires défend ces familles. Il écrit dans son journal : « Si toutes les femmes d’Antrain qui s’étaient mal conduites étaient ainsi mises à l’index, il n’y aurait plus moyen de vivre dans le pays ». Pour le faire plier, une assistance sociale va jusqu’à remettre en cause la légalité de son action. Effectivement, pris dans son grand élan de solidarité, Alexandre Collyer n’a pas songé un instant qu’il était nécessaire d’obtenir une autorisation de la Préfecture pour mettre des enfants en pension dans des foyers. Dès qu’il s’aperçoit de son erreur, le Malouin écrit au Préfet pour solliciter sa bienveillance, mais la menace d’expulsion va peser sur les esprits. Ces premiers obstacles n’entament pas la détermination de l’entrepreneur qui met tout en œuvre pour garantir le bien-être de sa « petite colonie ».

L’action d’Alexandre Collyer en faveur des « enfants d’Antrain » se traduit en premier lieu par une aide financière. Le chef d’entreprise verse tous les mois aux familles d’accueil une rente destinée à couvrir l’ensemble des frais de pension. Il prend en charge les visites chez le docteur, règle les médicaments. Il se procure des souliers ou des vêtements lorsque ceux que portent les enfants sont trop usés. A Noël, il offre un cadeau à tous ses protégés : « Pour Noël, chaque enfant a un jouet. Ma femme prépare un arbre de Noël et à la distribution, tout le petit monde est bien content », note-t-il dans son journal. Jeanne Collyer se souvient que son père « dépensait sans compter » et qu’au final il lui restait peu d’argent pour subvenir aux besoins de ses propres enfants. « C’était un grand optimiste, poursuit Jeanne Collyer, il nous disait toujours de ne pas nous tracasser ».

Le journal dans lequel Alexandre Collyer a consigné le déroulement
de son action en faveur d’enfants défavorisés de la Région parisienne

Le soutien financier qu’Alexandre Collyer accorde aux enfants d’Antrain se double d’un soutien « moral ». L’entrepreneur qui continue de gérer sa société de transport à Saint-Malo passe autant de temps qu’il le peut à Antrain, au milieu de ses protégés. Il tient à ce que ceux-ci lui rendent visite plusieurs fois par semaine pour lui donner un compte-rendu détaillé de la situation dans le foyer d’accueil. Son journal décrit les nombreux problèmes qu’il doit résoudre entre les pensionnaires et leurs gardiens d’une part et entre les gardiens et les parents restés au Kremlin-Bicêtre d’autre part. A la tête d’une petite communauté d’êtres sensibles, les uns déboussolés par la séparation, les autres par les difficultés liées à la Guerre, Alexandre Collyer se présente comme le commandant qui essaye de faire régner l’ordre et la cohésion à bord de son navire. Il sait que s’il ne remplit pas cette mission, les enfants seront « renvoyés à la misère ». Ainsi passe-t-il une bonne partie de ses journées à désamorcer les conflits et s’il le faut à sermonner les uns et les autres. Il change les enfants de famille en fonction des complications qui surviennent dans les foyers et n’hésite pas à prendre chez lui les petits qui se retrouvent sans gardiens.

Pendant plusieurs mois, Alexandre Collyer parvient à maintenir l’équilibre fragile de sa petite communauté, mais la situation se dégrade à mesure que les combats entre l’occupant allemand et les forces alliées se déplacent vers l’ouest. En juin 1944, les nuages s’amoncellent à l’horizon. Les rares nouvelles qui parviennent à filtrer de l’extérieur font état de bombardements à quelques kilomètres seulement du village. Les communications sont entièrement coupées entre Antrain et le Kremlin-Bicêtre. Les esprits s’échauffent, l’inquiétude grandit. Alexandre Collyer fait son possible pour apaiser tout son petit monde. « Heureusement que si j’ai des craintes pour les gosses, je ne ressens aucune frayeur et il m’est facile de trouver les mots qui rassurent ceux qui ont peur » écrit-il à cette époque. Le Malouin connaît lui-même des difficultés financières, car son entreprise de transport est à l’arrêt. Tous ces bouleversements finissent par peser sur l’homme d’affaires qui n’a alors plus le courage de poursuivre son journal. « La rédaction de ce mémoire a été interrompue pendant de nombreux mois pour la seule raison que jamais un fait agréable ne s’y trouve à inscrire ». Il trouve malgré tout les ressources nécessaires pour maintenir son navire à flot au plus fort de la tempête… jusqu’à la Libération.

En mai 1945, la capitulation de l’Allemagne marque la fin des combats. L’action solidaire d’Alexandre Collyer ne s’arrête pas pour autant. L’entrepreneur sait que le retour de la paix ne signifie pas la fin des restrictions pour les parents. Il donne donc à ces derniers la possibilité de laisser leurs enfants entre les mains des familles d’Antrain pendant quelques mois supplémentaires.

Dès 1946, les enfants ont tous retrouvé leur famille au Kremlin-Bicêtre. Forcément marqués par leur séjour, ils vont continuer d’exprimer leur gratitude envers leur bienfaiteur pendant plusieurs années. Mme Leroy-Domin, petite-fille d’Alexandre Collyer, se souvient avoir rencontré plusieurs anciens pensionnaires venus rendre visite à son grand-père. Tout comme le journal dans lequel il relate les faits, elle conserve comme un trésor les lettres que son grand-père a reçues du Kremlin-Bicêtre, lettres qui témoignent du lien profond qui s’est tissé entre l’homme d’affaires et ses petits protégés.

La générosité d’Alexandre Collyer a permis à une douzaine d’enfants issus de familles modestes durement touchées par la Guerre de vivre décemment et dans un calme relatif pendant toute la durée des hostilités. Son action est d’autant plus remarquable que personne ne savait combien de temps le conflit allait durer… Hommage soit rendu à cet homme et à toutes les familles d’accueil d’Antrain.

Merci à Mme Jeanne Collyer, à M. Michel Collyer et Mme Rozenn Leroy-Domin pour leur collaboration.

4 Commentaires sur “Un conte de Noël : Alexandre Collyer et les enfants d’Antrain

  1. enguehard says:

    j’ai connu un proche de cet homme,même visage et même bonté Raymond COLLYER.
    Ils m’accueillaient sa femme IOdette et lui trés souvent pendant mon internat au collège.
    Ils font partie de mes beaux souvenirs

    • gwenael lecossois says:

      Quel délicat commentaire, Raymond et Odette étaient mes grands parents, et oui, c’étaient des êtres extrêmement généreux envers tous et toutes

    • Bertrand Guizard says:

      Bonjour
      je suis le neveu de Raymond Collyer. C’était en fait le fils d’Alexandre. J’en profite pour remercier chaleureusement le travail d’historien réalisé par Stéphane sur mon grand-père Alexandre, que je n’ai hélas pas connu. Ma maman, Yvonne Collyer, était son cinquième enfant. Bien à vous

  2. enguehard says:

    La vie moderne éclate les familles et rend égoïste .
    On ne peut pas refaire le film , il reste les souvenirs.
    Ils se prénomment Marie France , Alex, Yves et Nadine , Yvette et Fanchon , Rozenn et Jean François et les parents ,comme Raymond et Odette, et la mémoire me manque pour citer les autres. Mes beaux souvenirs entre 12 et 18 ans sont avec eux , je n’oublie pas . Michel

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