Dès l’arrivée des premiers soldats allemands à Saint-Malo en juin 1940, Janine Leclerc a choisi son camp. La résistance s’est présentée à elle comme une évidence. Découvrez le parcours de cette malouine qui, à l’âge de 17 ans, s’est engagée dans la lutte contre l’occupant.
Premières humiliations
Lorsque les premiers Allemands arrivent à Saint-Malo en 1940, Janine a 17 ans. Elle travaille dans une épicerie sur le Sillon. Seulement quelques dizaines de mètres séparent le magasin de la caserne de Rocabey où une partie des troupes allemandes se sont installées. Les premiers heurts avec l’occupant se produisent rapidement. Un matin, les Allemands installent un barrage sur le Sillon. Janine se retrouve bloquée : elle manifeste son agacement, explique aux officiers qu’elle doit aller travailler, mais on lui demande d’attendre, sans autre forme d’explication. Une fois le barrage levé, la jeune femme doit s’excuser auprès de sa patronne. Une première contrariété. Bien d’autres frustrations de ce genre vont suivre. L’épicerie où travaille Janine est désignée comme l’un des cinq centres officiels de ravitaillement de l’armée allemande. Un jour, les officiers réclament des asperges. Mais voilà, les provisions d’asperges les plus proches se trouvent à 26 km de là. Janine doit enfourcher sa bicyclette et faire l’aller-retour. Attendue pour 20h00, elle arrive à la caserne avec dix minutes de retard. En guise de punition, l’officier en charge lui demande de cirer les bottes de plusieurs soldats du régiment. Janine proteste, mais elle doit s’exécuter.
L’épicerie où travaillait Janine Leclerc est devenue un tabac-presse : « L’Epicerie du Sillon ».
Premières actions
Le quotidien est ainsi fait de petites humiliations, de contraintes auxquelles il faut se plier sans mot dire. Mais Janine ne peut accepter ce sentiment d’impuissance. Alors, elle entreprend des actions symboliques en solitaire. Des actions sans grande portée, mais qui la conduiront vers un engagement plus décisif. Par exemple, elle prend chez ses parents de longues pointes bien affilées avec lesquelles elles crèvent les pneus des vélos de l’occupant. A l’épicerie, elle n’hésite pas à faire le tri entre les marchandises : elle réserve les denrées acceptables aux clients et transmet les denrées abîmées aux Allemands. On lui reproche d’avoir fourni des fromages remplis d’asticots. Elle se défend : « Nous les mangeons bien nous, vous pouvez faire pareil ! ».
L’entrée dans la résistance
En juillet 1940, Janine rejoint le groupe de résistants dirigé par le docteur Andréis, le réseau « Famille F2 ». A partir de ce moment-là, ses actions sont coordonnées par ses chefs. Sa principale mission : la surveillance des bateaux civils et militaires dans le port de la ville. Janine doit recueillir le maximum d’informations : équipage en place, type de cargaison, destination prévue. Ces missions de surveillance se font au grand jour. On imagine souvent que les résistants vivaient cachés et qu’ils menaient leurs actions dans l’ombre. En fait, beaucoup d’entre eux n’ont pas changé de mode de vie. Ce fut le cas de Janine Leclerc qui continuait de loger chez ses parents et de travailler à l’épicerie du Sillon. Elle conduisait ses missions au nez et à la barbe de l’ennemi, avec tous les risques que cela pouvait comporter. Aujourd’hui, Janine l’affirme haut et fort : elle n’avait peur de rien. Malgré tout, on est forcément impressionné par le courage de cette jeune femme qui n’hésite pas à braver le danger pour défendre une cause qui est une évidence à ses yeux.
Patrouilleurs allemands à quai devant les remparts de Saint-Malo – Crédit photo : Association Grieme – www.grieme.org.
Double vie
Dans ces circonstances particulières, elle se voit dans l’obligation de mener une double vie. Elle doit garder son secret bien enfoui, sous peine d’être dénoncée, de mettre en péril tout un groupe de résistants . Elle ne se livre donc à personne. Ainsi, sa mère ne sait pas qu’elle est dans la résistance (elle ne le saura jamais). Son père, lui, le découvre un soir : alors qu’elle est en train d’écrire son rapport dans sa chambre, il entre brusquement dans la pièce et lui demande ce qu’elle fait. Elle essaye de lui faire croire qu’elle travaille pour sa patronne, mais il insiste, lui demande de lui montrer ses notes. Elle finit par lui avouer qu’elle travaille pour un réseau de résistants. Son père comprend et l’approuve. Elle lui demande de ne pas en parler à sa mère.
500 victimes
Ainsi, pendant plusieurs mois, Janine retrouve le Docteur Andréis à intervalles réguliers pour lui fournir les précieux renseignements. Les informations qu’elle transmet au cours de l’un de ces rendez-vous vont conduire le haut commandement britannique à lancer une attaque contre un transport de troupes allemand, à destination des îles anglo-normandes. L’attaque va faire plus de 500 victimes. Les Anglais vont même transmettre leurs félicitations à la jeune résistante. Janine évoque ce souvenir avec une certaine amertume : si elle ne conteste pas l’utilité de l’opération, elle n’oublie pas non plus que de nombreuses personnes innocentes se trouvaient à bord du navire.
Tous des menteurs
En 1944, après l’ordre d’évacuation de la ville de Saint-Malo lancé par le colonel Von Aulock, Janine Leclerc va s’installer dans une ferme à proximité de Saint-Méloir où elle continue ses actions. Elle entre notamment en contact avec un régiment américain établi à la Malouinière de la Bardoulais. Comme elle fait régulièrement l’aller-retour à pied entre Saint-Méloir et Saint-Malo, elle est en mesure de leur fournir des renseignements importants. Mais les relations avec les Américains sont difficiles. Elle essaye par exemple de leur indiquer les itinéraires qu’ils doivent prendre pour éviter les champs de mines jusqu’à Saint-Malo. Mais ils lui répondent qu’ils savent ce qu’ils ont à faire. Ils vont subir de nombreuses pertes pour ne pas avoir suivi ces conseils. Elle leur apprend également qu’il n’y a plus que 80 soldats basés à Saint-Malo intra-muros, principalement pour servir des canons de DCA sur les tours du Château et le Bastion de la Hollande. Mais on ne l’écoute pas. « Les Français sont tous des menteurs ;! », lui rétorque-t-on. On peut imaginer que la destruction de l’intra-muros aurait été évitée si les informations fournies par les résistants avaient été prises en compte…
Indulgence
Lorsqu’elle fait le point, plus de 60 ans après les faits, Janine Leclerc sait se montrer indulgente vis-à-vis de certains Allemands « différents » qui n’avaient pas leur place dans cette guerre, ceux qui s’étaient retrouvés là sans l’avoir voulu et qui devaient agir à contre-courant de leurs convictions personnelles. Elle se souvient notamment d’un jeune soldat qui a fermé les yeux sur des documents compromettants lors d’une perquisition de la Gestapo à son domicile. Elle pense également au gardien de la prison de Saint-Malo qui lui a donné de faux papiers pour qu’elle puisse rendre visite à son mari, alors emprisonné à Rennes, avant sont transfert vers l’Allemagne. Janine a appris par la suite que cet officier avait été fusillé par ce qu’elle appelle « les résistants de la dernière heure ». Elle regrette de ne pas avoir pu le sauver…
Janine Leclerc en 2010, dans son appartement de la rue des Marins, Saint-Malo intra-muros.
Janine Leclerc a reçu plusieurs décorations, dont la Médaille militaire et les Croix de Guerre française et belge. Elle est décédée en 2014.
Ma grand-mère ❤️
J’ai la chance d’avoir récupéré ses mémoires et d’avoir pu en discuter avec Mr Mazurier pour ajouter des éléments que ma grand-mère n’avait pas écrit.
Merci à vous d’avoir laisser une trace de son histoire.