Colette Renault, témoin des Années sombres – Partie 1 : L’Occupation

Colette Renault a vécu au plus près les événements qui se sont déroulés dans la région de Saint-Malo au cours de la Seconde Guerre mondiale. N’ayant pas pu se réfugier chez des proches lorsque l’ordre d’évacuation de la ville a été lancé, elle est restée intra-muros, avec sa soeur et sa mère, jusqu’à l’arrivée des troupes américaines. En cela, elle est un des témoins clés de cette période sombre de l’histoire de Saint-Malo. Dans cette première partie, elle nous raconte l’entrée dans la guerre et la vie quotidienne au contact de l’occupant allemand.

Débâcle

Mon premier souvenir de la guerre est celui de la débâcle de l’armée anglaise. Les soldats anglais s’entassaient sur les quais, en attendant d’embarquer sur les bateaux qui devaient les reconduire dans leur pays. Nous assistions à ce curieux spectacle depuis les remparts. Ils distribuaient aux Malouins les marchandises dont ils disposaient : bacon, cigarettes, etc. Mon père, qui était douanier, a refusé d’accepter ces « cadeaux ». Je regardais avec envie mes petits camarades qui se régalaient à côté de moi.

L’arrivée des Allemands

A cette époque, la radio était notre principale source d’informations. Il y avait sur la place du Pilori un marchand de postes de TSF. Tous les jours à 18 heures, ce marchand allumait un poste et les gens se réunissaient autour du magasin pour écouter le compte-rendu qui était donné à cette heure-ci. Mon père se rendait tous les soirs sur la place pour prendre des nouvelles. Il nous transmettait ensuite ce qu’il avait entendu. Je percevais très nettement l’inquiétude de mes parents. C’est par le bouche à oreille que nous avons suivi la progression des Allemands. « Les Allemands sont à Paramé », « Les Allemands sont à Saint-Servan »… La tension nerveuse est allée en s’amplifiant dans l’intra-muros. Les mamans disaient à leurs enfants de ne pas sortir. Mais nous ne respections pas ces consignes. Nous guettions l’arrivée de l’ennemi. Je me trouvais dans ma rue, la rue Saint-Benoît, lorsque j’ai vu un soldat pour la première fois. Les Allemands se sont installés dans les murs, sans rencontrer de résistance. A partir de ce moment-là, notre quotidien a changé. Nous avons subi le régime de l’occupation avec son lot de restrictions.

La boutique de postes de TSF tenue par Marcel Cotteret (Fonds privé Louis Motrot).

L’alimentation

Les difficultés liées à l’alimentation sont celles qui nous pesaient le plus. Nous avions du mal à trouver des vivres. Chacun se débrouillait comme il pouvait. Certains prenaient leur vélo et parcouraient des kilomètres pour se rendre dans les fermes, à Dol ou ailleurs, et troquer de la nourriture contre autre chose. Je me souviens également de la boucherie chevaline de la rue de l’Orme. Il fallait s’y rendre à cinq heures du matin pour espérer obtenir de la viande. Ma mère se présentait dès cinq heures devant l’établissement pour faire la queue. Ma sœur la remplaçait quelques heures plus tard. Puis, encore un peu plus tard c’était à mon tour de prendre le relais. Ainsi, vers 9 heures, nous pouvions avoir notre ration.

Le couvre-feu

Nous devions éteindre les lumières à partir de 22 heures : les Allemands voulaient à tout prix éviter que des signaux lumineux soient transmis vers l’extérieur. Ce couvre-feu nous a d’ailleurs valu une belle frayeur. Un soir, nous avons entendu des bruits de bottes dans l’escalier, puis des coups frappés à notre porte. Ma mère s’est levée pour ouvrir. Des soldats allemands sont entrés, visiblement très en colère. Ma sœur et moi étions terrorisées. Les soldats nous ont accusées d’avoir laissé les lumières allumées. Pourtant, ils n’ont pu que constater que nous étions dans l’obscurité la plus totale. C’est en regardant par la fenêtre qu’ils se sont aperçus qu’ils avaient fait fausse route. Notre maison se trouvait à côté d’un hôtel occupé par les Allemands, l’Hôtel du Cavalier. La lumière de l’une des chambres de cet hôtel se reflétait dans nos fenêtres… Les soldats allemands sont repartis sans mot dire.

Décrets de l’occupant allemand transmis par voie d’affichage (Fonds privé RMDG).

Subvenir aux besoins

Nous avons connu certaines difficultés financières lorsque mon père a été expulsé à Chateaubourg. Ma mère a commencé à faire du repassage pour subvenir à nos besoins. Elle s’occupait du linge des Allemands. J’accompagnais ma mère à la Kommandantur lorsqu’elle allait porter les paniers de linge repassés aux officiers. De mon côté, je gagnais de l’argent de poche en recousant les boutons des uniformes ou des chemises. Ma mère parfois cassait des boutons des pièces qu’elle repassait pour me donner l’occasion de gagner un peu d’argent.

Officiers allemands réunis sur la Place Chateaubriand (Fonds privé Louis Motrot).

Passages secrets

Dans l’ensemble, les soldats allemands restaient corrects avec nous. Après le débarquement, ils sont devenus beaucoup plus tendus. Je me souviens d’un épisode qui aurait pu mal tourner. J’étais sortie un soir avec ma sœur et deux de mes cousines. Nous nous promenions bras dessus, bras dessous, comme cela se faisait à l’époque. C’était un peu avant le couvre-feu. Nous avons croisé un Allemand. Subitement, l’officier s’est jeté sur moi pour m’embrasser, sans me laisser le temps de réagir. Ma sœur est venue à ma défense : elle lui a donné une gifle. L’officier a été déstabilisé. Ma sœur n’a probablement pas mesuré les conséquences de son geste, mais son intervention nous a permis de nous enfuir. Nous connaissions quelques passages secrets dans l’intra-muros et nous les avons empruntés pour échapper à notre poursuivant.

Traumatismes

Au cours de cette période d’occupation, il m’a été donné de vivre des événements douloureux. En face de chez nous vivait un jeune couple, les Roth. Madame Roth était d’origine juive. Je connaissais bien ces personnes, car Monsieur Roth était tailleur et l’une de mes tantes travaillait comme couturière dans son établissement. Les Roth avaient une petite fille de 8 mois. Je pouvais voir cette petite fille dans son berceau depuis ma fenêtre. J’adorais regarder jouer ce bébé. Un jour, je suis rentré de l’école et ma mère m’a dit : « Tu sais, tu ne reverras plus jamais la petite Roth ». Je lui ai demandé pourquoi. Ma mère m’a simplement répondu que les Allemands avaient emmené la mère et la fille. Elle ne m’a pas donné plus d’explications. Le papa s’est réfugié dans un couvent à Paris. Ma tante a pris le train une fois par mois jusqu’à la fin de la guerre pour lui porter de l’argent. Il a réussi à s’en sortir. Cet événement m’a profondément marquée. Je crois que je suis devenu adulte à ce moment-là.

Alertes

Au cours des derniers mois, les alertes sont devenues de plus en plus fréquentes. Nous dormions fenêtres ouvertes pour être sûres de les entendre. Elles étaient données au moyen d’une cloche installée sur la Tour Bidouane. Dès qu’elles retentissaient, nous allions nous réfugier dans un abri souterrain. Un jour d’août 1944, nous avons quitté notre logement pour nous installer définitivement dans un abri…

Dans la deuxième partie de ce récit, Colette Renault évoque la vie dans les abris pendant le siège de Saint-Malo et la libération de la ville par les troupes améridaines.

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