L’histoire de la carterie Guérin

Ancêtre des éditions Emgé, la carterie Guérin a occupé une place importante sur le marché de l’édition de cartes postales dans les années 30, époque où ce support, plus qu’un simple moyen de correspondance, permettait également la diffusion d’informations locales. Comme beaucoup d’entreprises malouines, la carterie Guérin a disparu dans le feu des combats de la Seconde Guerre mondiale. Avec elle, ce sont des milliers d’instantanés de la vie quotidienne, des milliers de souvenirs d’événements locaux qui se sont envolés.

A la fin des années 1920, Maurice et Marie-Thérèse Guérin vendent la librairie qu’ils géraient ensemble et se cherchent une nouvelle activité. Chacun a une idée bien précise de la route qu’il souhaite emprunter. Madame a un penchant pour l’artisanat local ; Monsieur, lui, est bien tenté de suivre la voie de son père, Toussaint Guérin, ancien éditeur de cartes postales. Le local qu’ils trouvent rue Thévenard leur permet de concrétiser leurs deux projets. A l’avant, une boutique traditionnelle dans laquelle Madame peut installer un commerce de vaisselle et d’articles bretons. A l’arrière, un grand espace qui peut accueillir une petite maison d’édition. Le couple Guérin et leur fils Michel s’installent dans l’appartement situé juste au-dessus du local. Leur nouvelle vie peut commencer.

La petite maison

Ti-Bihan, la boutique où Maurice et Marie Thérèse Guérin vont développer leurs activités respectives.

Fort du savoir-faire que lui a légué son père, Maurice Guérin n’a aucun mal à développer sa petite entreprise. Photographe émérite, il prend lui-même les clichés qui illustreront les cartes. Plusieurs fois par semaine, il part sur les routes de Bretagne, à pied ou en voiture, avec son appareil photo et plusieurs plaques de verre, ancêtres de la pellicule. Lorsqu’il arrive sur le lieu choisi, il commence par installer l’appareil. Composé d’une chambre noire et d’un objectif à soufflet, celui-ci est plutôt lourd et encombrant. Les nombreuses manipulations qu’il nécessite interdisent toute prise de vue « instantanée ». Une fois son appareil mis en place et bien orienté, le photographe prend une plaque de verre, y dépose un mélange de gélatine et de bromure de cadmium qui en améliore la sensibilité, et l’introduit dans la chambre noire. Il peut enfin appuyer sur le déclencheur. L’image vient se fixer sur le support en verre qu’il faut ensuite retirer délicatement de l’appareil, en veillant à le protéger de la lumière. Ce petit rituel se répète pour chacune des prises de vue.

De retour à la carterie, Maurice Guérin trie les plaques et envoie celles qu’il a retenues à la maison Hélio-Lorraine de Nancy, l’une des deux entreprises qui impriment à elles seules l’ensemble des cartes postales éditées en France. Quelques jours plus tard, il reçoit une pile de cartes imprimées qu’il emmagasine dans des boîtes métalliques au fond du local. Il troque alors sa casquette de photographe contre celle de représentant de commerce et repart sur les routes, cette fois-ci pour proposer son stock à des librairies, des bureaux de tabac, des kiosques à journaux.

A gauche, un appareil photo tel que celui utilisé par Michel Guérin. A droite, des plaques de verre de cette époque.

Le succès de la maison d’édition va croissant. Il faut dire que la décennie qu’elle traverse coïncide avec l’Age d’or de la carte postale. Le téléphone n’est pas encore entré dans les habitudes et c’est la carte que l’on privilégie pour se transmettre des messages. On l’utilise par exemple pour se donner un rendez-vous dans les jours qui suivent. Mais en ce temps-là, la carte postale ne sert pas seulement de support de correspondance, elle fait également office de « gazette » locale : le public y a recours pour s’informer des événements qui se sont produits dans la région. A ce titre, elle se place en concurrence directe avec les quotidiens de l’époque, alors dépouvrus d’illustrations. Si nous sommes surpris lorsque nous retrouvons d’anciennes cartes postales illustrées par une photo d’enterrement ou de naufrage de bateau (nous pensons notamment aux images du naufrage du Hilda qui ont circulé dans toute la France), c’est parce que nous avons oublié cette fonction de « média d’information » que remplissait la carte postale de l’entre-deux-guerres. Maurice Guérin, qui a bien compris le potentiel de la carte postale en termes de diffusion de nouvelles, ne se contente pas de photographier des vues pittoresques de Saint-Malo, il immortalise également différents faits marquants, ainsi que des manifestations culturelles ou religieuses. La sortie du « Pourquoi pas » du Commandant Charcot, une procession solennelle à l’occasion de la Fête-Dieu, une représentation théâtrale chez les Frères sont autant de sujets que l’on retrouve portés « à la une » des cartes « Guérin ».

Un incendie dans les remparts !

Dans les années 30, la carte postale faisait office de gazette locale, comme en témoigne cette carte de l’éditeur H. L. M., l’un des concurrents de la carterie Guérin.

La guerre qui approche va entraîner la chute de la petite maison d’édition et la disparition de ces précieux témoignages du temps passé. A partir de juin 40, l’arrivée des troupes allemandes sur les terres bretonnes provoque un ralentissement général des activités liées au tourisme sur la Côte d’Emeraude. Maurice Guérin est directement touché par le désastre qui frappe ce secteur économique : les commandes de cartes postales s’effondrent. Le 20 juin, les premiers chars de la Wehrmacht font leur entrée dans l’Intra-muros. Les Malouins se mettent à l’heure allemande. Pour compenser la baisse de ses revenus, Maurice Guérin accepte un poste au Conseil municipal. Chargé du ravitaillement de la population, il se retrouve en contact direct avec l’occupant allemand, une expérience particulièrement douloureuse qui va durer plus de trois ans. En août 1944, les troupes américaines assiègent la Forteresse de Saint-Malo. La ligne de combat se rapproche, les bombardements s’intensifient. L’heure du départ a sonné pour la famille Guérin. Laissant derrière eux leur appartement, le magasin de souvenirs, le stock de cartes postales et tous leurs biens personnels, ils prennent la dernière navette pour Dinard.

Après plusieurs jours d’errance entre Dinard et Ploubalay, les Guérin apprennent la victoire des Alliés sur les garnisons allemandes stationnées dans les murs et sur la Cité d’Alet. Mais ils apprennent également que l’Intra-muros a été en grande partie détruit. L’angoisse se mêle à la joie de la Libération. Lorsqu’ils rentrent à Saint-Malo, on les informe que l’accès à la vieille ville est interdit pour des raisons de sécurité. Il leur est impossible d’aller vérifier dans quel état se trouve leur immeuble. Logés à différentes adresses pendant plusieurs semaines, les Guérin tentent de reprendre une vie normale, avec toujours cette inquiétude qui les ronge. Les nouvelles qui leur arrivent au compte-gouttes de l’Intra-muros ne sont pas encourageantes ; ils cessent de nourrir tout espoir et attendent qu’une autorisation leur soit donnée pour pouvoir « faire leur deuil ». Ils reçoivent finalement leur laissez-passer dans le courant du mois de septembre. Maurice et son fils Michel se rendent sur place pour évaluer l’ampleur des dégâts.

La ville de Saint-Malo telle que ses résidents l’ont retrouvée après les bombardements d’août 1944.

Même s’ils s’étaient préparés au pire, la vision de l’immeuble dévasté qui se dresse devant eux les saisit d’effroi. Le bâtiment ne s’est pas effondré — les restes des murs et des planchers esquissent encore les contours des anciens appartements — mais tout le mobilier et les objets du quotidien ont brûlé. Seuls les présentoirs mis en devanture de la boutique de cadeaux sont encore intacts. Lorsqu’ils pénètrent dans ce qu’il reste du local de la maison d’édition, Maurice et Michel constatent que les plaques de verre ont fondu sous l’effet de la chaleur. Un peu plus loin, ils retrouvent les boîtes métalliques dans lesquelles les cartes postales avaient été rangées par secteurs géographiques. Les cartes sont calcinées, le métal n’ayant pas suffi à les protéger du feu, mais curieusement, les illustrations apparaissent encore en filigrane. Dès que Michel tend la main pour essayer de saisir ces images irréelles, le papier tombe en poussière et elles se volatilisent.

A partir de ce jour, Maurice et son fils Michel tentent de reconstituer la mémoire de la carterie Guérin. Ils frappent aux portes des collectionneurs, font le tour des brocantes, des braderies et des vide-greniers pour tenter de dénicher d’anciennes cartes. Mais les résultats de cette quête sont décevants : sur les milliers de modèles édités par la maison Guérin, ils n’en retrouvent que quelques dizaines. Le fonds ne sera jamais restauré. Plusieurs années plus tard, un événement inattendu permet à la famille Guérin de récupérer quelques vestiges de l’ancienne carterie : la maison Hélio-Lorraine qui imprimait l’ensemble des cartes postales de l’éditeur malouin fait faillite. Ses locaux, occupés dans un premier temps par les ouvriers, sont ensuite laissés à l’abandon. Michel et sa mère Marie-Thérèse se rendent à Nancy pour explorer les lieux. Dans les décombres, ils réussissent à retrouver plusieurs plaques de verre que Maurice avait expédiées avant le début des hostilités. Michel Guérin garde aujourd’hui bien précieusement ses derniers souvenirs de la maison d’édition familiale.

En 1954, Michel Guérin, le fils de Maurice, fait revivre la carterie : il crée une société d’édition qu’il baptise « Emgé », nom créé à partir de ses propres initiales (M. G.) qui sont aussi celles de son père. Aujourd’hui, la maison Emgé édite des cartes postales, mais aussi l’Annuaire des marées et l’Annuaire émeraude.

Un grand merci à M. Michel Guérin pour son aide précieuse.

Un commentaire sur “L’histoire de la carterie Guérin

  1. JOUNEAU says:

    Bonjour
    Ayant pris connaissance de l’article au sujet de la carterie GUERIN,
    je souhaiterai échanger avec vous.
    Pourriez-vous m’appeler au 06 12 35 14 89.
    Joëlle Jouneau
    Présidente de l’association Les amis de l’oeuvre de l’Abbé Fouré

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