L’histoire des cars Collyer

Les Cars Collyer ont aujourd’hui entièrement disparu, mais de nombreux Malouins gardent encore un souvenir très vivace de cette entreprise de transport, grande rivale du Rail, et de son fondateur, Alexandre Collyer. Créée à Saint-Malo dans les années 20, l’entreprise des Cars Collyer est restée en activité pendant presque toute la Seconde Guerre mondiale, ce qui, comme nous le verrons, ne fut pas une mince affaire. Jeanne, fille aînée d’Alexandre Collyer a travaillé dès son plus jeune âge à bord des fameux cars. Elle nous aide à retracer les grandes heures de l’entreprise.

Les débuts

En 1928, Alexandre Collyer, banquier de son état, décide de diversifier son activité et achète quatre autocars flambant neufs de marque Classic. Les cars sont tout d’abord utilisés pour des lignes touristiques à destination de Sables d’Or les Pins et du Mont-Saint-Michel. Le succès est là et très vite Alexandre Collyer met en place une première ligne régulière au départ de Saint-Malo, destinée au transport de personnes et de marchandises, qui dessert Fougères via Pontorson. Après des débuts hésitants (la clientèle se méfie des engins dangereux que seraient les cars comparés au train), la liaison fonctionne enfin régulièrement.

Les lignes touristiques sont maintenues et développées : Lisieux, Sainte-Anne d’Auray, Quiberon, Cap Fréhel, La Baule. A plusieurs reprises, des cars se rendront à Lourdes (dont, après la guerre, un car Mies de cent places !) Le Mont-Saint-Michel reste toutefois la destination « phare » de l’entreprise : dans ces années-là, l’autocar est le moyen le plus simple et le plus rapide pour se rendre au Mont depuis Saint-Malo, une situation qui va largement contribuer à l’essor de l’entreprise. Rapidement, de nouvelles lignes sont créées : vers Saint-Hilaire-du-Harcouêt en 1934, vers Caen par Mortain et Vire juste avant la guerre. Le parc, basé au « Garage de l’Ouest » avenue Louis-Martin, s’agrandit. Les plus beaux cars reçoivent, peints en lettres d’or, les noms des quatre enfants d’Alexandre Collyer : Jeanne, René, Raymond, Madeleine. « Pour Caen, vous prendrez aujourd’hui la Jeanne. Pour Fougères, ce sera le Raymond »…

La destination phare des Cars Collyer : le Mont-Saint-Michel.

Le succès des cars Collyer ne fait pas que des heureux. La société ferroviaire de l’époque regarde en effet d’un très mauvais œil le développement rapide des compagnies routières de transport de voyageurs. 1937 voit la nationalisation des chemins de fers, qui deviennent la SNCF. La même année, un accord rail-route est signé entre les deux parties et les cars Collyer obtiennent l’exclusivité de la liaison entre Cancale et Dol, mais les tensions restent vives. La société ferroviaire n’hésite pas à envoyer des émissaires aux différents arrêts de cette ligne desservie par l’entreprise pour contrôler l’heure de passage des cars et consigner les éventuels retards. Ces informations sont ensuite utilisées pour discréditer la « Route » et vanter les mérites du « Rail ». Mais les réseaux ferrés de desserte locale sont alors en plein déclin et la SNCF ne peut empêcher l’ascension des sociétés de transport routier.

Jeanne, la fille aînée d’Alexandre Collyer, va entrer très tôt dans l’entreprise familiale. Le jour de sa communion, son père lui offre une sacoche de cuir rouge et lui propose de travailler à bord des cars. A peine âgée de 11 ans, elle va tous les dimanches contrôler et cocher d’un trait de crayon rouge ou bleu les billets des voyageurs sur les différentes lignes. Bien sûr, le reste de la semaine est consacré aux études. Dès l’obtention de son brevet, Jeanne occupera un poste à plein temps au sein de l’entreprise familiale.

Carte postale montrant les deux grands rivaux côte à côte : l’autocar et le rail.

Au cours de l’année 1938, Alexandre Collyer se rend dans la région lyonnaise, chez Berliet, pour négocier l’achat de trois nouveaux cars ultra-modernes à moteur diesel. A peine rapatriés à Saint-Malo en 1939, les trois véhicules sont réquisitionnés par l’Armée française. On ne les reverra pas. Ce sont les premières difficultés liées à la Guerre qui vient d’éclater.

La Guerre

En 1940, l’Armée allemande arrive aux portes de Saint-Malo et avec elle le cortège de difficultés et de restrictions que va connaître la population malouine pendant plusieurs années. Les Cars Collyer ne seront pas épargnés.

Dès les premiers jours de l’Occupation, ce sont les problèmes de pénurie de carburant qui viennent contrarier la bonne marche de l’entreprise. Les quelques quantités disponibles sont immédiatement réquisitionnées par l’occupant. Les autocars Collyer ne s’immobilisent pas pour autant : ils continuent de rouler grâce au « Gazogène », un système permettant de transformer le charbon de bois en gaz pour moteurs à explosion. Ce retour au combustible solide n’est pas sans inconvénients : le charbon de bois doit en effet brûler pendant plusieurs heures avant que le moteur se mette en marche. Jeanne Collyer se souvient que ses frères se levaient à quatre heures du matin pour que les voyageurs puissent prendre le départ à sept heures. Autre désagrément provoqué par le « gazo » : les véhicules qui en sont équipés perdent de leur puissance et ont parfois du mal à franchir les côtes. Sur certaines portions de route en montée, les passagers sont invités à descendre pour permettre à l’autocar de se hisser au sommet… 

Autocar parisien équipé d’un gazogène.

Il y a fort à parier que les Malouins ont été reconnaissants envers Alexandre Collyer de ne pas avoir baissé les bras et d’avoir maintenu son entreprise en activité malgré l’adversité. En ces temps de pénurie alimentaire, ils sont en effet amenés à se rendre régulièrement dans les campagnes pour se réapprovisionner. Ils voient alors dans les autocars Collyer une solution de transport idéale, quasi providentielle. Grâce à une échelle installée pour la circonstance, les voyageurs peuvent entreposer sur le toit les vélos qu’ils utiliseront pour finir le trajet jusqu’au village de destination. Les paquets qui transitent entre la ville et la campagne sont également hissés sur le toit, ou sont stockés au fond du car. Pour déjouer les contrôles, les employés de la compagnie dissimulent les colis de ravitaillement derrière des pneus et ficellent le tout avec de la corde : dans la plupart des cas, les Allemands n’ont pas le courage de défaire tous les liens pour vérifier la nature réelle des paquets.

Mais les Allemands ne s’intéressent pas seulement aux biens matériels. Les passagers font également l’objet de contrôles fréquents. L’ambiance qui règne à bord des autocars est particulièrement pesante, car l’on redoute à chaque arrêt de voir monter une patrouille. Jeanne Collyer évoque avec tristesse l’une des victimes de ces contrôles : un homme d’affaires d’origine juive, directeur d’un grand magasin de prêt-à-porter de Saint-Malo. Ce jour-là, le malheureux emprunte la ligne sur laquelle est employée Jeanne. Celle-ci, sentant monter le danger, lui conseille de retirer son étoile jaune pendant la durée du voyage. Ayant déjà été contrôlé par les Allemands sans être inquiété, l’homme décide de garder son étoile. Il est arrêté pendant le trajet. Jeanne Collyer apprendra plus tard qu’il a été emprisonné à Saint-Malo, avant d’être transféré à Rennes, puis à Paris. Il ne donnera plus jamais de nouvelles.

En 1944, la Normandie, puis la Bretagne, deviennent le théâtre des opérations de libération menées par les forces alliées. En juin de cette année, Alexandre Collyer note dans son journal : « Après le débarquement en Normandie, un de mes cars a été détruit à Fougères lors du bombardement de la ville. Les Allemands m’ont volé deux autres cars que j’ai voulu mettre pour assurer le service ». Faute de véhicules à sa disposition, le Malouin est contraint d’abandonner la partie. Les cars Collyer cessent de transporter des voyageurs.

La Reconstruction

Au final, l’entreprise d’autocars ne va rester à l’arrêt que quelques semaines. En août 1944, les Américains libèrent la Ville de Saint-Malo. L’heure de la reconstruction a sonné. Alexandre Collyer peut commencer à réparer les nombreux dégâts qu’a subis son établissement. En 1945, le gouvernement français oblige les sociétés à ne maintenir qu’un seul domaine d’activités. Le chef d’entreprise doit faire un choix entre sa branche Banque et sa branche Transport. C’est l’activité Transport de voyageurs, qu’il va décider de conserver. La Banque Collyer va disparaître.

Publicité pour les autocars Collyer

Il s’agit alors de reconstituer le parc roulant, ce qui ne sera pas une mince affaire dans le contexte de l’époque. On achète des cars à droite, à gauche, neufs quand on en trouve (Chausson et Floirat), d’occasion le plus souvent (MiesLatilIsobloc), dont un incroyable autobus récupéré de la RATP qui servira aux excursions des scolaires et à celles des « petits vieux » de l’Hôpital de Saint-Malo.

En 1950 est rachetée une dernière ligne reliant Saint-Brice en Coglès à Rennes. Les cars Collyer vont rester en service jusqu’en octobre 1951, année au cours de laquelle l’entreprise est revendue aux « Courriers Normands ». Le voyage est alors définitivement terminé pour les véhicules beiges et verts de la célèbre entreprise. Son fondateur, épuisé, ne lui survivra que moins de trois années.

Les autocars Collyer sont restés présents dans le quotidien des Malouins pendant tout un pan du XXe siècle. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les citadins ont pu les utiliser pour se ravitailler dans les campagnes ou rendre visite à leurs proches évacués dans les villages alentour. C’est peut-être la raison pour laquelle de nombreux habitants de Saint-Malo gardent encore aujourd’hui une image très forte de ces véhicules qui ont sillonné les routes de Bretagne et de Normandie de 1928 à 1951.

Merci à Mme Jeanne Collyer pour son récit. Merci également à M. Michel Collyer et Mme Rozenn Leroy-Domen pour leur collaboration.

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